
Une Grande épreuve de natation
La coupe de Noël disputée sur la Seine à Paris.
Quelques nageurs célèbres
Il faut avoir, non pas seulement le cœur, mais aussi le corps bardé d’un triple airain, pour se mettre à l’eau à cette époque de l’année et s’y ébattre, ne fût-ce que pendant un quart d’heure. Admirons les concurrents qui prennent part à des épreuves que nos pères – gens peu sportifs – eussent jugées surhumaines. Admirons-les et regrettons de ne pouvoir les imiter. Ils ont, à coup sûr, une belle force de résistance contre la fatigue et contre le froid, de bons poumons, un solide courage, toutes qualités – physiques et morales – que développe le sport, et qu’on ne saurait trop cultiver chez les jeunes Français d’à présent.
Les louangeurs du temps passé déplorent qu’on laisse se perdre un peu trop, aujourd’hui, les traditions de l’antiquité. Certes, en ce qui concerne la culture de l’esprit, ils n’ont pas tort. Mais quant à la culture du corps, il semble, au contraire, que ces traditions reprennent une force nouvelle. Or, parmi tous les sports qu’ils pratiquaient, les Grecs et les Latins considéraient la natation comme l’un des plus agréables et des plus nécessaires. Faites appel à vos souvenirs classiques : la jolie légende de Héro et Léandre vous viendra à l’esprit ; c’est une légende amoureuse et sportive à la fois ; et cela explique que tous les poètes antiques, Virgile, Lucain, Martial, d’autres encore, aient marqué pour elle une véritable prédilection. Héro, jeune prêtresse de Vénus, habitait la ville de Sestos, sur les bords européens de l’Hellespont, à l’endroit où le détroit se resserre et forme ce que l’on appelle aujourd’hui les Dardanelles. De l’autre côté sur la rive asiatique, se trouvait la ville d’ Abydos. Un jeune homme de cette ville, nommé Léandre, ayant vu la jeune prêtresse, en devint amoureux et se fit aimer d’elle. Pour la rejoindre, il traversait chaque nuit, à la nage, l’Hellespont qui, à cet endroit, a encore plus de 1.500 mètres de largeur. Afin de guider l’amoureux, Héro, au haut d’une tour, tenait une torche allumée. Mais une nuit d’orage, le vent, très violent, éteignit la lumière. Léandre, privé du phare qui le conduisait vers ses amours, fut entraîné par le courant et perdit sa route. Ses forces le trahirent avant qu’il pût atteindre l’autre bord. Le lendemain, les vagues rejetèrent son corps sur le rivage de Sestos. Héro l’y découvrit et, ne pouvant survivre à la perte de son amant, elle se jeta dans les flots et se noya. La légende de Héro et Léandre n’a pas impressionné que les poètes antiques ; les modernes aussi s’en sont inspirés. Gentil-Bernard en fit tout un poème, Lefranc de Pompignan, une tragédie lyrique. Voltaire n’en fit qu’un quatrain. Mais il arrive qu’un quatrain réussi vaille mieux qu’un long poème , et c’est le cas de celui de Voltaire :
Léandre, conduit par l’Amour,
En nageant, disait à l’orage :
« Laissez-mol gagner le rivage,
Ne me noyez qu’à mon retour.
Lord Byron fit mieux encore. Lorsque, tout imprégné de culture classique, il vint à Constantinople en 1810, la légende de Héro et Léandre hanta son esprit. Bien qu’il fût affligé d’un pied bot, le grand poète anglais était excellent nageur. Il s’avisa de renouveler l’expérience de l’amoureux antique. Le 10 mai 1810, accompagné d’un de ses amis, le lieutenant Ekenead, il tenta, l’épreuve et franchit, en une heure, la distance qui sépare la côte d’Asie de celle d’Europe. Le courant l’avait entrainé un peu plus loin que l’endroit où, dit-on Léandre atterrissait, de sorte qu’au lieu de 1.500 mètres, sa traversée en compta près de 2 000. Huit ans plus tard, Byron accomplit une performance plus étonnante encore. Il entreprit d’aller à la nage depuis l’île de Lido jusqu’à Venise; et il y réussit parfaitement. La distance était de sept kilomètres ; il la parcourut en quatre heures vingt minutes. Les plus longues épreuves modernes dans le sport de la natation n’ont pas duré plus de vingt-deux heures. Ce sont celles du capitaine Webb et de William Burgess dans la traversée de la Manche.
Webb partit de Douvres le 25 août 1875, à 1 heure moins 4 minutes, et aborda sur plage de Calais le 26, à 10 heures 41 minutes. Malheureusement, son épreuve fut dépourvue de tout contrôle. Un matelot et un pilote calaisiens, ayant fait partie de l’équipage du bateau qui l’escortait, affirmèrent plus tard que Webb s’était fait remonté sept ou huit fois dans le canot pour se reposer que le canot, lui, ne se reposait pas… Cependant le succès du capitaine anglais lui suscita maints imitateurs. Successivement Montagne, Holbein, Volffe, Stearne, tous citoyens de La libre Angleterre ; miss Kellermann, Australienne, Mme Isasectu, Roumaine, Cattaneo, le Belge Maas ; les Finlandais Meyer et Oooms, tentèrent vainement l’aventure. Un Anglais encore, William Burgess, y réussit en octobre 1911. Il avait mis 22 heures 10 minutes, pour traverser la Manche, de Douvres au cap Gris-Nez. Vous ne voyez pas dans tout cela de noms français. C’est que les Français sont venus assez tard au sport de la natation, et, surtout aux épreuves en plein hiver. Depuis de très nombreuses années, à Londres, des nageurs intrépides se disputent la coupe de Noël dans la rivière Serpentine, qui traverse Hyde-Park. Chez nous l’épreuve de la traversée de Paris ne date guère que d’une quinzaine d’années. Il est vrai que des Français s’y sont, à maintes reprises, particulièrement distingués, et notamment, en 1905, Paulus, qui battit les plus célèbres nageurs étrangers Holbein, Billington, miss Kellermann et même Burgess, le futur vainqueur de la Manche. Nous avons aujourd’hui des champions qui valent bien ceux des pays voisins. Mais est-ce assez que d’avoir des champions ? Que quelques Français et même quelques Françaises se mettent courageusement à l’eau en plein décembre, c’est beau, évidement ; mais ce qui serait non moins beau et plus utile, ce serait de donner à tous les jeunes Français et à toutes les jeunes Françaises une éducation sportive qui leur permit de se sauver s’il leur advient de tomber à la rivière. Or, c’est ce à quoi on ne paraît pas avoir suffisamment songé jusqu’ici. Savez-vous comment, on enseigne la natation dans la plupart de nos écoles ? On met les élèves à plat ventre sur un tabouret et on leur fait exécuter les mouvements des jambes et des bras. Après ça, il est entendu qu’ils savent nager… Oui, mais s’ils tombent à l’eau, ils coulent au fond. Un instituteur, qui m’écrivait l’été dernier à ce sujet, s’élevait avec raison contre cet enseignement théorique qu’aucune démonstration pratique ne vient compléter. « Les enfants, me disait-il, n’y peuvent puiser qu’une confiance funeste dans leur science de la natation. Mieux vaudrait ne rien leur apprendre du tout ». Certes ! Mais vaudrait surtout leur apprendre réellement à nager. Une bonne leçon en pleine eau vaudrait mieux que toutes les démonstrations théoriques sur les tabourets de l’école. Il est inouï de penser qu’en ce pays où tant de gens déjà savent se mouvoir dans l’air, on n’apprend même pas aux enfants à se mouvoir dans l’eau.
Exposition temporaire DU 21 OCTOBRE 2023 AU 28 JANVIER 2024 (Passée)