Les bateaux de l’Adour. De la pirogue « monoxyle » au grand bateau assemblé
Le choix de ce bassin fluvial ne doit rien au hasard, même si l’étude de tous les autres bassins de notre pays aurait abouti aux mêmes conclusions générales. L’Adour restait, dans la seconde moitié du XXe siècle, un véritable musée des formes nautiques archaïques.
L’ancienne batellerie de l’Adour présentait encore un éventail complet de l’évolution de l’architecture du bateau fluvial, de la pirogue « monoxyle », c’est-à-dire creusée dans un tronc d’arbre, au grand bateau construit à l’aide de planches débitées à la scie.
Un diorama qui permet d’appréhender quelques notions essentielles de l’histoire de la navigation intérieure :
- toutes les parties des rivières et du fleuve du bassin fluvial étaient autrefois exploitées au maximum par l’homme. En amont, là où l’eau se fait rare encore, de petites embarcations sont utilisées pour la pêche et les transports sur de courtes distances. La taille des bateaux augmente plus on se rapproche de l’océan… La voile apparaît alors car on peut louvoyer dans l’estuaire ;
- les bateaux sont construits pour des usages qui leur sont propres. Les bateaux à passagers recherchent la vitesse; les batelleries de transport s’adaptent quant à elles aux trafics auxquels elles sont destinées : un bateau de charge pour des cargaisons de pierre ne ressemble en rien à une autre embarcation transportant du foin !
- les matériels et les techniques nautiques évoluent au fil des siècles. L’exemple de l’Adour nous révèle une activité intense sur trois siècles, mais également une augmentation constante de la taille des bateaux, avec, pour corollaire, l’abandon progressif des portions les plus en amont, où la navigation est plus difficile et donc moins rentable.
Le diorama de l’Adour nous fait ainsi prendre conscience de l’extraordinaire richesse du monde du transport fluvial
Bateaux de Seine
Jusqu’au milieu du XIXe siècle, l’essentiel du ravitaillement nécessaire à la vie de la capitale se fait par la batellerie. La majeure partie de ce trafic provient de l’amont, Haute-Seine, Yonne et Loire par le canal de Briare. Bois de chauffage, bois de construction, grains, vins, etc. sont ainsi acheminés à bon compte en profitant du courant fluvial.
La Seine aval
Le trafic de la basse Seine, en aval de Paris, est beaucoup moins développé que celui de l’amont. Étant donné le coût très élevé du halage et les nombreuses difficultés que présente la remontée, seuls les produits à forte valeur ajoutée « montent » vers Paris.
Jusqu’au XVIIIe siècle, le halage est effectué par des hommes. Le chemin de halage est ensuite amélioré, empierré et élargi ; les chevaux peuvent alors être utilisés et les bateaux augmentent de taille. Mais même alors, la « remonte » reste une opération longue et difficile. Il faut plus d’un mois pour effectuer le trajet entre Rouen et Paris dans les meilleures conditions. Il subsiste en effet de nombreux passages difficiles où il est nécessaire de recourir à du personnel spécialisé et de demander le renfort de plusieurs dizaines de chevaux. Et comme la basse Seine présente de nombreux méandres et beaucoup d’îles, le chenal de navigation passe sans arrêt d’une rive à l’autre. Les chevaux de halage doivent alors embarquer sur des bacs pour retrouver le chemin de halage !
La besogne
Ce type de bateau de basse Seine apparu au XVIIe siècle va disparaître dans la première moitié du XX » siècle. Il servait notamment au transport des pierres de taille en provenance des carrières d’Herblay, Conflans-Sainte-Honorine, Saint-Leu-d’Esserent et Saint Maximin, pour la construction des bâtiments publics et privés de Paris. Le gouvernail des bateaux fluviaux est toujours de très grande taille a fin de conserver son efficacité, même à très faible vitesse, au halage.
La besogne se caractérise aussi par son mode de construction dite « à clin » : les planches de bord se recouvrent partiellement, un peu comme les tuiles d’un toit, au lieu d’être assemblées bord à bord. Cette architecture, que l’on retrouve du Portugal à la Russie pour des unités maritimes ou fluviales, est issue de la tradition germanique.
La grande « marine » de Loire
Les batelleries des fleuves de l’Atlantique sont privilégiées par la présence de deux moteurs naturels de sens contraire, le courant fluvial d’un côté et le vent dominant d’ouest dans l’autre. La Loire est ainsi le seul fleuve d’Europe à pouvoir être remonté à la voile sur près de 400 kilomètres. C’est donc en toute logique que ce fleuve voit naître une grande « marine » qui prospère pendant des siècles, avec un bateau parfaitement adapté, le « chaland » à voile. Jusqu’au début du XIXe siècle, la Loire représentera l’axe économique majeur de notre pays.
Le bateau de Loire
Les riches pays du Val de Loire contribuent beaucoup au ravitaillement de Paris depuis 1642, date de la mise en eau du canal de Briare. Les chalands à voile embarquent ainsi les produits coloniaux débarqués à Nantes, remontent le fleuve et empruntent le canal pour atteindre la Seine et la capitale.
Les lacs alpins
Étant donné leur largeur et leur profondeur, les lacs alpins, lac Léman, lac d’Annecy, lac du Bourget, offrent des conditions de navigation semblables à celles de la mer ; c’est surtout la voile qui est utilisée pour la propulsion des « barques » de charge. Leur technologie très savante est d’origine méditerranéenne.


Les estuaires
Le milieu le plus favorisé pour la navigation est celui des estuaires des fleuves sensibles à la marée. Le bateau peut profiter alternativement des courants rentrants et sortants de flot et de jusant. Les estuaires sont de plus ouverts aux vents marins qui permettent le développement de batelleries à voile. La Garonne en donne un parfait exemple.
La gabare de Gironde
La Gironde est une véritable mer intérieure, peu profonde et encombrée de bancs de sable et d’îles séparées par des chenaux. Elle est traversée dans toute sa longueur par un profond chenal maritime qui permet aux grands navires d’accéder à Bordeaux. Les conditions de navigation sont particulièrement favorables, courant alternatif engendré par la marée (« flot » et« jusant) et vent d’ouest très fréquents… Il n’est donc pas surprenant de voir se développer une importante batellerie qui joue un grand rôle dans la prospérité économique de la région, notamment au XIXe et au début du XXe siècle. Les vins, mais aussi de nombreux autres produits agricoles,Les vins, mais aussi de nombreux autres produits agricoles, les matériaux de construction et les bois et charbons font l’objet d’un trafic intense. C’est la gabare de Gironde qui assurait le cabotage de cette mer intérieure.


Bateaux éphémères de la haute Dordogne
Les argentats sont conçus pour un unique voyage. Cette navigation « à bateau perdu » a subsisté jusqu’au début du XXe siècle. En amont de la ville qui a donné son nom à cette batellerie originale, les gabariers construisaient pendant l’hiver de grands bateaux plats très simples, appelés « courpets » ; ces bateaux étaient suffisamment solides pour survivre à une descente tumultueuse de la rivière en crue… Arrivée dans la région des vignobles, la cargaison, le plus souvent des « carassonnes » (piquets de vigne) et des douves de tonneau, était vendue, puis le bateau était détruit (« déchiré ») et les bois vendus également pour le chauffage ou pour la construction des maisons. L’équipage rentrait à pied et reprenait une vie d’agriculteur, en attendant la prochaine descente !
LES ARGENTATS, BATEAUX DE LA HAUTE DORDOGNE
Notes recueillies auprès de M Révanger Paul, de Combes (Gironde), ancien marinier libournais.
« Géographiquement Argentat-sur-Dordogne (Corrèze) se trouve à 153 kilomètres de Limeuil et 289 kilomètres de Libourne ; une belle descente à faire en bateau. Avant de vous donner une description de ces bateaux, faisons connaissance de leurs constructeurs argentacois. Ceux-ci tiraient profit des forêts de châtaigniers de la haute Dordogne. Ils cumulaient d’être à la fois bûcherons, scieurs de long, tonneliers, charpentiers de bateaux et mariniers. Ils fabriquaient des douves, des cercles, des tonneaux(j’ai une carte avec un argentat chargé de tonneaux qui est au départ à Argentat), des carassonnes (échalas), du charbon de bois, des manches d’outils, de quoi satisfaire à tous les besoins des vignerons du Libournais et du Médoc et bien entendu les bateaux destinés à transporter toute cette fabrication. […] Revenons à nos argentats ; ils avaient environ 10 mètres de long, 3 mètres de large et 1,20 mètre de haut, ils pouvaient transporter 15 tonnes environ. Ils étaient pointus et très relevés à l’avant et à l’arrière, et à gorge. Le gréement, une grande rame (le Torel) servait de gouvernail, deux rames à l’avant, deux « ractons » (perches ferrées), pas de cabane pour l’équipage, un abri d’écorce, deux hommes montaient ces barques (dernières descentes en 1909). Ils devaient profiter d’une crue pour descendre la Haute-Dordogne, ils ne descendaient que jusqu’à Libourne, au plus à Bourg. Ils transbordaient sur des coureaux les chargements destinés pour le Médoc ; ces argentats ne pouvaient affronter la houle de la Gironde. Après liquidation de leur chargement, ils étaient vendus au déchirage ou parfois à des pêcheurs de sable. »
La batellerie rhodanienne
Bernard Clavel a immortalisé l’histoire de la navigation traditionnelle sur ce fleuve particulièrement difficile. La remonte d’un convoi formé de « barque de patron » et de plusieurs « penelles » était une aventure humaine et technique longue et périlleuse qui justifie le titre donné aux mariniers du Rhône, « les seigneurs du fleuve »… Cette batellerie est très ancienne ; les vestiges du bourg celtique de Condate, au confluent de la Saône et du Rhône, et ceux du quartier romain des Canabées témoignent de l’importance du transport fluvial à toutes les époques. Les grands « équipages » du Rhône du XIXe siècle sont ainsi l’aboutissement d’une longue tradition. Un « équipage », c’est un ensemble composé d’une trentaine d’hommes, de trente à quarante chevaux, et une flottille d’une quinzaine de bateaux. C’est aussi et surtout une organisation très complexe et très hiérarchisée. En tête venait donc la « barque de patron », solide bateau de forme ovale mesurant une trentaine de mètres sur 3,5 mètres de large. C’est le domaine du « patron » du convoi, aidé de deux mariniers. La barque porte tous les agrès de « l’équipage » et peut en outre charger 75 tonnes de marchandises. Les bateaux suivants sont des « penelles », construits en sapin et portant 80 tonnes, et les « seysselandes » (ou « cislandes ») qui portent 50 tonnes. On pouvait rencontrer aussi dans un convoi des « savoyardes » qui transportent jusqu’à 100 tonnes, sur le haut Rhône, ou des « rigues » destinés aux transports des pierres et chaux de Montalie ou de Villebois, longs de 35 mètres et chargés de 200 tonnes. Les « ratamalles » (ou « ratamares ») servaient quant à elles au transport des pommes de Savoie…
Tous les « équipages » comptent, en revanche, des « coursiers », bateaux utilisés lors de la descente pour le transport des chevaux de halage ou pour rejoindre le chemin de halage lors des changements de rive et le « pilavoine » qui sert à faire passer la « maille » (câble de halage) d’une rive à l’autre. Le patron était assisté du « prouvier », son second, et d’un « patron de terre », véritable éclaireur du convoi (il était chargé de sonder les passages difficiles). Il pouvait compter également sur les services d’un « maréchal » et de son « chien », en fait son aide, qui devait précéder le convoi pour organiser les étapes. Le conducteur de convoi ou « maître d’équipage » était avec le « patron » le personnage essentiel de cette organisation : c’est lui qui assurait la comptabilité et la correspondance… Mariniers, mousses et chartiers complétaient l’effectif.
La batellerie auvergnate et les mines de charbon
Cette batellerie est une émanation de celle de la grande marine de Loire. Les « sapines », dérivées des « chalands », sont des bateaux simplifiés pour répondre à un programme de navigation original : une vie éphémère limitée à un seul voyage à la descente. L’architecture de « sapines » est donc extrêmement rudimentaire pour obtenir un prix de construction le plus bas possible. De toute façon les bateaux sont « déchirés » une fois arrivés à destination et ce prix bas est encore amorti grâce à la vente des planches et des « râbles ». La seule navigation à gré d’eau permet de faire l’économie de tous les agrès et apparaux nécessaires à la remonte : voile et gréement, piautre, etc. Ces bateaux très rustiques et de construction légère présentent également la particularité d’un « rendement en port » exceptionnel ; une « sapine » peut ainsi charger l’équivalent de quinze fois son propre poids. La sapine est destinée au transport des charbons de terre des mines d’Auvergne vers le marché parisien, soit environ 550 kilomètres de navigation… L’aventure de cette batellerie peut commencer après la mise en eau du canal de « Loyre en Seine » – le canal de Briare – en 1642. Les bateaux descendent à gré d’eau jusqu’à Briare par l’Allier et la Loire (350 kilomètres), sont halés par des hommes sur les 50 kilomètres du canal et terminent leur voyage jusqu’à Paris grâce au courant du Loing et de la Seine (150 kilomètres). Il faut ravitailler le « ventre de Paris » et le charbon de terre commence à concurrencer le charbon de bois et le bois. La distance est énorme pour l’époque, mais la navigation est ici particulièrement économique. Le trafic, modeste à l’origine, va exploser au début du XIXe siècle, avec l’industrialisation naissante. En 1846, les statistiques dénombrent 7 560 bateaux passés à Roanne ! La production des mines de l’Allier et du Bourbonnais, ainsi que celle des mines de Saint-Etienne alimentent cet immense trafic.
Pourtant, quelques années plus tard, la batellerie auvergnate va disparaître complètement face à une nouvelle voie concurrente. Pour une fois c’est une grande batellerie qui élimine une autre grande marine « . Grâce à l’ouverture du canal de Saint-Quentin et à la canalisation de l’Oise et de la Seine, les grosses péniches de canal vont transporter des quantités énormes de charbon du Nord à des prix imbattables. Après 1860, la batellerie auvergnate n’existe plus.