« La construction systématique de cet immense équipement de canaux de jonction au cours de trois siècles est la plus étonnante, la plus ample et la plus savante entreprise de canalisation qui soit au monde. Elle illustre, mieux que tout autre exemple, la contradiction profonde qui préside à l’Histoire de notre nation : une diversité fondamentale surmontée et transcendée au prix d’efforts pluriséculaires soutenus par une extraordinaire volonté d’union. »
François Beaudouin.

UNE INVENTION APPELÉE A RÉVOLUTIONNER L’INDUSTRIE DES TRANSPORTS
Le canal de jonction : faire passer un bateau d’un bassin fluvial à un autre, sans rupture de charge…
Le canal de jonction est une invention française. Pour aller d’un bassin fluvial à un autre, il faut nécessairement passer par dessus la ligne de partage des eaux. Celle-ci est par définition une ligne sèche : la ligne de partage des eaux, c’est, pour reprendre une image pédagogique classique, l’arête de la toiture des maisons; l’eau de pluie s’écoule soit d’un côté, soit de l’autre, pour rejoindre les gouttières qui sont ici assimilées aux bassins fluviaux.
Comment faire passer un bateau, et donc un canal par-dessus ce point sec ?
Cette question qui préoccupe les ingénieurs depuis des siècles ne sera résolue sur le plan technique et théorique qu’au XVIe siècle par Adam de Craponne. La première mise en application de cette découverte ne se fera qu’au XVIIe siècle avec la mise en eau du canal de Briare, ou canal de Loire en Seine, en 1642.
Le canal de jonction ouvre une ère nouvelle dans l’économie des échanges et donc l’organisation de nos sociétés.




© P. Lemaître.
Pendant des siècles, les produits relativement légers et relativement chers ont été les seuls à pouvoir supporter le prix d’un transport terrestre. Économiquement, il n’était pas viable de chercher à transporter sur des charrettes, sur de grandes distances, des quantités importantes de produits comme les blés ou les bois, les pierres de taille, les briques et tuiles et tous les autres produits lourds ou encombrants.
Désormais, la navigation intérieure dont l’outil, le bateau, a une capacité de charge qui est sans aucune commune mesure avec les moyens de transport terrestre, va permettre l’ouverture des économies régionales. La complémentarité des ressources de chaque bassin fluvial devient possible. De nouveaux trafics de marchandises et de personnes vont rapidement naître et l’on va assister progressivement à une réorganisation profonde de notre pays.
Le premier canal de jonction, le canal de Briare, peut paraître modeste avec ses 40 kilomètres de long. C’est pourtant une prouesse technique et un ouvrage considérable qui a mobilisé des milliers d’ouvriers.
Mais que dire du canal du Midi qui, avec ses 240 kilomètres, apparaît encore aujourd’hui comme une entreprise colossale, démesurée ?
Ce canal, à lui seul, est l’illustration de l’importance économique et stratégique des canaux de jonction. L’Etat était intéressé au premier chef par leur réalisation, qui, outre les bienfaits économiques, permettent d’unifier les provinces françaises, et qui jouent enfin un important rôle stratégique. Le canal de Saint-Quentin réalisé sous l’Empire était par exemple une réponse au blocus maritime des Anglais.
LE CANAL DU MIDI ET L’HISTOIRE DES CANAUX
«Le canal du Midi est du type dit à point de partage. Ce type de canal est l’aboutissement d’une longue évolution technique. L’invention du canal à point de partage semble due à Adam de Craponne, ingénieur de Salon-de-Provence, qui construisit en 1557 le canal d’irrigation qui porte son nom encore aujourd’hui. Outre cette réalisation, Adam de Craponne est l’auteur de projets de canal du Charolais et de canal du Languedoc, tous deux à point de partage. Le premier canal à point de partage au monde, le canal de Briare, appelé également canal Henri-IV, qui unit la Loire à la Seine par le Loing, est l’œuvre d’un grand ingénieur, Hugues Cosnier; commencé en 1604 il fut achevé en 1642 par les frères Boutheroue dont l’un participera avec Riquet à la conception du canal du Midi. L’idée d’un canal joignant la Méditerranée à l’Atlantique est très ancienne, l’auteur latin Tacite en parle, Charlemagne y pense, François 1er fait étudier le projet par deux commissaires, l’évêque de Sisteron et François Conseil. Charles IX reprend l’idée. Jusqu’alors, les difficultés techniques posées par l’alimentation du bief de partage sont insurmontables. Ces problèmes sont résolus par Adam de Craponne. Sous Louis XIII, Bernard Arribal propose en 1618 un canal de Toulouse à Narbonne. Richelieu veut commencer les travaux en 1632. En 1633, projet Fichot et Beauvau, en 1650, projet François Rieule. Puis vint Riquet. »
François Beaudouin
LE CANAL DU MIDI
la barque de patron du canal du Midi
La barque de patron est le bateau ordinaire de la navigation commerciale sur le canal. Aussi appelée barque sétoise, elle possède étrave et étambot et est pontée. Cette architecture dénote une origine méditerranéenne. Les trafics d’autrefois portaient sur les vins en provenance du Languedoc, les céréales, les matériaux de construction, pierres et bois, la houille et les produits industriels. Au XXe siècle, les céréales représentent les plus gros tonnages et la houille a été remplacée par les hydrocarbures.
LE VOYAGE FLUVIAL
Pourquoi associons-nous presque toujours le transport fluvial au transport des marchandises ?
Pourquoi avons-nous oublié que, depuis toujours, et jusqu’au milieu du XIXe siècle, la voie d’eau était le mode privilégié de déplacement des hommes.
Coches et diligences d’eau. « galiotes », « corbillards », « barques de poste »…
Tous ces bateaux qui circulent au XVIIe, XVIIIe et début du XIXe siècle sur les rivières et canaux recouvrent une même réalité fondamentale, l’existence partout de très nombreux services réguliers destinés aux transports de voyageurs.

La navigation intérieure, c’est bien entendu le transport de marchandises, mais c’est également un très important trafic lié au déplacement des hommes. Le bateau est beaucoup plus confortable que les moyens terrestres sur les mauvaises routes du royaume ; il est également beaucoup plus sûr à certaines périodes troublées… Des lignes régulières, avec des bateaux de plus en plus luxueux, mettent en place à partir du XVIe siècle.
Paris et les services de coches d’eau
Au XVIIIe siècle, ces services ressemblent de plus en plus à un service public, au sens moderne du mot. Ils fonctionnent en respectant un calendrier et des horaires précis, des tarifs officiels et affichés aux points de vente des billets.
La Seine amont, l’Yonne et la Marne ont connu la navigation la plus intense. Mais des services existaient également sur la basse Seine, entre Paris, Rouen et Le Havre.
Des bateaux confortables…
Les coches d’eau sont équipés d’un cabanage, plus ou moins grand, dont le toit peut servir de terrasse à la belle saison et qui est également utilisé pour entreposer les colis encombrants qui ne craignent pas la « mouille ».
L’intérieur est divisé en une grande salle commune, des cabines particulières, un réduit à bagages, une cantine, des sanitaires, un bureau pour le contrôleur et des cabines pour l’équipage.


en grande partie effacée : »Construit par Alexandre Putois à Auxerre en 1839″. Peinture de part et d’autre de l’avant à étrave ronde : Mercure,dieu du commerce et des voyageurs, reconnaissable à son casque ailé et à son caducée. Cette exceptionnelle maquette ancienne a conservé ses peintures d’origine. Les coches halés disparaissent au début du XIXe siècle devant la concurrence des bateaux de voyageurs à vapeur et roues à aubes. Seuls subsistent ces bateaux « mixtes » transportant quelques voyageurs dans une cabine centrale réduite, en même temps que du fret « en vrac » à l’avant et à l’arrière. © P. Lemaître.
Les barques de poste pour le transport des passagers sur le canal du Midi

Les premières « barques de poste » sont mises en service dès 1673. À cette date, la traction est assurée par deux chevaux conduits par un postillon à pied. La vitesse moyenne ne dépassait pas 3 à 4 kilomètres à l’heure, transbordement aux écluses compris.
Il fallait ainsi quatre jours pour effectuer le trajet entre Toulouse et Agde. Plusieurs arrêts étaient prévus pour la « couchée » ou la « dînée ».

Au siècle, le service est nettement amélioré pour lutter contre la concurrence. Dix bateaux sont alors exploités par les administrateurs du canal. Les barques de poste partaient à horaires réguliers et les arrêts prévus permettaient les correspondances avec les chemins de fer et avec les bateaux à vapeur du canal latéral à la Garonne. Les barques de poste sont halées par quatre chevaux marchant au trot, relayés tous les 10 kilomètres en moyenne. Cette organisation permettait de maintenir une vitesse de 11 kilomètres à l’heure de jour comme de nuit. Le passage des écluses s’effectuait en six minutes ! Chaque bateau comportait 120 places assises réparties entre la salle commune et, pour les plus fortunés, le salon. Les barques de poste ont embarqué parfois de 250 à 300 passagers.

Le mouvement annuel des voyageurs sur le canal était de 100 000 à 110 000 personnes. Grâce à cette organisation, la barque de poste a su longtemps résister aux transports concurrents. Pourtant l’ouverture de la ligne de chemin de fer Montpellier-Toulouse en 1857 va lui porter un coup fatal ; le service disparaîtra définitivement en 1859.
LA NAVIGATION MÉCANIQUE

La fin du XIXe et le début du XXe siècle marquent une période d’intenses réflexions sur le meilleur moyen d’adapter les nouvelles inventions (machines à vapeur, hélices, etc.) pour améliorer la rentabilité du transport fluvial.
Études. expérimentations grandeur nature se multiplient… Cette mobilisation des scientifiques et des ingénieurs est une nouvelle preuve de l’importance de la navigation intérieure. Mais les problèmes sont complexes car les variables à prendre en compte sont innombrables : importance des trafics, nature de la voie d’eau (rivière canalisée ou non, canaux), mentalité des mariniers, etc.
Les premières batelleries « mécaniques »
La navigation mécanique apparaît au début du XIXe siècle avec les bateaux à vapeur à roues à aubes. Elle va très rapidement faire disparaître les batelleries fluviales traditionnelles concurrencées également par le développement des chemins de fer et la généralisation des voies canalisées.
La roue à aubes

L’utilisation de la roue à aubes comme moteur hydraulique est attestée depuis l’Antiquité.
L’idée de l’adapter sur un bateau pour remonter le courant est également très ancienne en Extrême-Orient, comme en Occident.
Les projets et expérimentations se multiplient en France au XVIIIe siècle ; l’aquamoteur, nous l’avons vu, sera vite opérationnel. Cependant, avec les seuls moteurs naturels alors disponibles, le courant, l’homme ou l’animal, son application à la navigation intérieure reste anecdotique…
Il faut attendre l’invention de la machine à vapeur pour que le bateau à roues à aubes s’impose.

Les avantages du nouveau système sont éclatants et vont révolutionner le monde du transport fluvial ; vitesse, régularité, autonomie…
Trois axes seront explorés par les inventeurs :
-bateaux pour le transport des voyageurs ;
-porteurs pour le transport des marchandises ;
-remorqueurs.
Le transport de voyageurs par bateaux à roues à aubes
C’est sur la Seine, entre Paris et la mer, que les services vont connaître leur plus grande réussite commerciale. La première moitié du XIXe siècle est une époque où les relations entre la France et l’Angleterre s’intensifient considérablement. La navigation fluviale Paris-Rouen est prolongée par une navigation maritime rapide utilisant également le bateau à vapeur à roues à aubes. Sur la basse Seine, le bateau se joue des nombreux méandres qui handicapaient considérablement la navigation traditionnelle halée (nombreux changements de rive du chemin de halage). Le bateau à roues à aubes destiné aux transports des voyageurs va connaître une intense, mais brève réussite (1830-1850).
Ces compagnies supplantent rapidement les entrepreneurs de coches d’eau halés. À partir de 1850, la canalisation des rivières par barrages mobiles éclusés et la concurrence du chemin de fer vont à leur tour faire disparaître progressivement les bateaux à vapeur à roues à aubes, handicapés par leurs roues encombrantes lors du passage des écluses et dépassés techniquement par les bateaux à hélice.

Les origines de la construction métallique des bateaux de navigation intérieure
Le premier navire à vapeur en fer à avoir remonté la Seine jusqu’à Paris en juin 1822 est l’Arou Manby, bâtiment construit en Angleterre et qui portait le nom de son créateur.
Cet exemple va vite être suivi, car la construction fer qui permet la réalisation de bateaux plus légers et donc d’un faible tirant d’eau est particulièrement intéressante sur la Seine qui comporte de nombreux bancs de sable et de graviers et un mouillage faible.
Dès 1828, cinq steamers en fer font ainsi le trajet entre Paris et Rouen et Rouen et Le Havre.
Les bateaux de charge à roues à aubes
Les premiers bateaux de charge à propulsion mécanique sont mus par des roues à aubes latérales ou arrière actionnées par une machine à vapeur. Ce sont souvent des bateaux polyvalents qui transportent des passagers, des marchandises diverses et qui servent aussi de remorqueurs.
Sur la Seine, la roue à aubes arrière va s’imposer car elle est beaucoup moins encombrante pour le passage des écluses et des arches des ponts.