Musée de la batellerie et des voies navigables

La canalisation généralisée

LA NÉCESSAIRE AMÉLIORATION DES CONDITIONS DE NAVIGATION DES FLEUVES ET DES RIVIÈRES.

LA CANALISATION GÉNÉRALISÉE ( 1850- 1900)

Courbe de chevaux, péniche de gabarit Freycinet et berrichon. Vers 1930.
« La drague ». Huile sur carton. Anonyme. Fin du XIXe siècle.

Avec la construction des canaux de jonction, naît un réseau cohérent, « inter­connecté » de voies d’eau naturelles et artificielles. Mais paradoxalement, nos fleuves et nos rivières, nos anciens et si précieux « chemins qui marchent » deviennent au XIXe siècle les maillons faibles de ce réseau gigantesque.

Les basses eaux en été, les passages diffi­ciles, les tirants d ‘eau souvent insuffisants toute l’année, gênent le développement des transports. Et pourtant, avec la Révolution industrielle, les besoins augmentent considérablement.

On sait construire bien entendu des canaux de niveau pour pallier les difficultés ponctuelles ou pour raccourcir les trajets sur les rivières aux trop nombreux méandres. On réalise également des canaux latéraux aux fleuves et aux rivières trop capricieux… Cependant, ces travaux représentent des coûts considérables et il n’est pas imaginable de doubler tout le réseau hydrographique du pays par des voies d’eau artificielles.

C’est une nouvelle fois les ingénieurs français qui vont inventer la solution à l’origine de la seconde grande révolution du transport fluvial.

LA CANALISATION DES RIVIÈRES PAR BARRAGES MOBILES ÉCLUSÉS

« Petit lexique des termes techniques de la voie d’eau ». VNF 1998

Jusqu’en 1830, on ne sait améliorer la capacité navigante des rivières qu’en construisant des barrages de maçonnerie. Le niveau d’eau augmente et l’écluse, accolée à chaque barrage, permet le passage des bateaux.

En théorie, le problème est donc résolu ; mais en pratique, cette technique ne peut être mise en œuvre que dans des cas très spécifiques : les fleuves ou les rivières encaissées, sans installations humaines à proximité. En effet, en période de crue, ces ouvrages massifs aggravent considérablement les effets des inondations. Les barrages forment autant d’obstacles à l’écoulement des eaux qui ne peuvent que déborder hors du lit de la rivière…

À l’évidence, la technique ne peut résoudre le problème des fleuves et des rivières de plaine, majoritaires dans notre pays. Une idée simple, mais d’une mise en œuvre difficile, va permettre la naissance de notre batellerie moderne. Il  s’agit  de  réaliser un  barrage  jusqu’à hauteur des berges, mais un barrage que l’on puisse enlever, démonter, escamoter…

On appellera cet ouvrage nouveau, « barrage mobile éclusé », car bien entendu, il faut une écluse pour le passage des bateaux à l’extrémité de chaque ouvrage, comme dans le système des barrages fixes. Grâce au  barrage mobile, le niveau de l’eau est élevé et maintenu à une hauteur constante quel que soit le débit de la rivière. Il autorise une navigation quasi permanente. Lorsque le débit de la rivière augmente, on démonte une partie de l’ou­vrage. En cas de forte crue, l’ouvrage disparaît complètement   et la rivière redevient naturelle. Cela ne signifie pas la disparition des inondations, mais seulement que l’ouvrage ne peut en aucun cas être tenu responsable d’une quelconque aggravation de celles-ci.

« Sinistre en Seine; incendie à bord d’une toue ». Dessin de Carrey. « le Petit Parisien », 15 février 1903.
« les chevaux de halage sur l’Oise ». Huile sur toile d’André Wilder. Début du XXe siècle.

Un gigantesque programme de construction va être réalisé dans la seconde moitié du XIXe siècle. La Seine, l’Oise, l’Aisne, la Marne, l’Yonne, soit 1 200 kilomètres de voies, sont canalisées par barrages mobiles dans le seul bassin de la Seine. Cette technique a permis un développement très important du transport fluvial avec un accroissement colossal des tonnages transportés. Car bien entendu, les bateaux ont suivi l’évolution des conditions de navigation et l’on imagine bien l’intérêt de passer de 1,20 mètre de tirant d’eau, pour prendre l’exemple de la Seine à plus de 2,50 mètres. Des bateaux beaucoup plus gros et qui peuvent naviguer presque toute l’année autorisent des coûts de transport en forte baisse et permettent ainsi de résister au chemin de fer, féroce concurrent.

On constate que sur toutes les rivières où ce système a été appliqué,  le transport fluvial s’est énormément développé. Par contre, là où l’on n’a pas canalisé les rivières par barrage mobile, la navigation a rapidement périclité puis disparu devant la concurrence du rail.

UN PROFOND BOULEVERSEMENT DU PAYSAGE FLUVIAL

Avec la canalisation, la rivière est désormais constituée par une série de biefs au courant très faible, sauf lors des rares périodes de crues importantes où les barrages sont couchés. La hauteur d’eau minimum a été considérablement augmentée, ce qui a entraîné une modification radicale des berges. L’absence de courant entraîne également très vite le comblement des bras morts et la disparition de nombreuses îles.

La pollution des eaux augmente avec les dépôts beaucoup plus conséquents des vases…

La recherche des conditions optimales de navigabilité pousse les ingénieurs vers des travaux de plus en plus importants : rectification des rives et du lit majeur, endiguements, dragages…

UNE NOUVELLE RÉVOLUTION POUR LE TRANSPORT FLUVIAL

Pour la batellerie, les conséquences sont immédiates. Les anciennes batelleries flu­viales disparaissent brutalement, mais parallèlement, se créent les grandes batelle­ries de canal, celles du Centre, de l’Est et surtout celle du Nord avec la péniche en bois. Au début du XXe siècle, douze mille bateaux de canal s’activent sur le réseau de voies de navigation artificielles composé des anciens canaux de jonction, des canaux latéraux et des rivières canalisées.

Un « tricycle » au début du XXe siècle.

LA TRACTION MÉCANIQUE (TRACTEUR  SUR  BERGE, TOUEUR  ET REMORQUEUR)

La nouvelle batellerie « de canal » (du Nord, du Centre et de l’Est) va progressive­ment s’uniformiser. Batellerie non motorisée à l’origine et jusqu’à une date récente (le milieu du XXe siècle), elle se caractérise par une organisation technique complexe des moyens de tractions utilisés :

En  canal, c’est la traction sur berge, essentiellement animale (le halage humain subsiste jusqu’au début du XXe siècle sur les canaux du Centre). La traction mécanique va progressivement faire disparaître les entrepreneurs spécialisés et les péniches­ écuries (mariniers propriétaires de chevaux logés à bord du bateau dans une écurie centrale). Les tracteurs électriques sur rail ou sur pneus puis les tracteurs à moteurs Diesel couvrent bientôt l’essentiel du réseau des canaux.

En rivière, la péniche doit avoir recours aux toueurs et aux remorqueurs (à roues à aubes, à hélice et à vapeur, puis à moteur Diesel). Ce système, encadré par l’État, fonctionne relativement bien, mais est très contraignant pour les mariniers qui perdent beaucoup de temps dans l’attente d’un moyen de traction et pendant la constitution des « trains ».

Contrairement à d’autres pays, comme la Belgique, qui ont misé beaucoup plus tôt sur l’automoteur, la France défend long­temps son organisation avec un argument « irréfutable » : « Il serait aussi absurde de vouloir mettre un moteur sur chaque bateau de charge que de vouloir motoriser tous les wagons du chemin de fer… »

La navigation tractionnée ne s’effacera que très lentement devant son concurrent, le bateau  automoteur. C’est seulement en 1973 que les derniers services de traction seront supprimés.

Le halage mécanique

Photographie originale. Don : C.G.T.V.N.
Photographie originale. E. Baron

Les origines du halage par tracteur sur berge

La première expérimentation française date de 1873, sur le canal de Bourgogne, avec une locomotive à vapeur de 4 tonnes comportant deux roues directrices sur rails et deux roues motrices sur chaussée.

Au début  des années 1880, une entreprise beaucoup plus ambitieuse est lancée sur les canaux de Neuffossé, d’Aire et de la Deule, entre l’ascenseur à bateaux des Fontinettes et Douai ; soit un parcours de 77 kilomètres.

Une véritable voie de chemin de fer est construite sur le contre-halage pour pouvoir supporter de grosses locomotives à vapeur avec leurs tenders pesant 14 tonnes à charge, chaque locomotive pouvant tracter un train de deux ou trois péniches chargées à la vitesse de 1,5 kilomètre à l’heure. La société, qui n’avait pas obtenu de monopole, fut concurrencée par les charretiers aux « longs jours » qui gardaient la confiance des mariniers ; elle cessa son service en février 1886.

Cette expérience décevante va refréner les ardeurs des investisseurs pendant de nombreuses années ; l’investissement de départ est considérable – il faut construire la voie – et, manifestement, les esprits ne sont pas prêts…

C’est fort de cette analyse que l’ingénieur de la navigation, M. Gaillot, propose en 1895 son « cheval  électrique ». Il s’agit d’une petite locomotive routière à trois roues qui circule sur le chemin de halage. La manœuvre pour les mariniers est iden­tique à celle avec des chevaux de halage. La nouvelle invention est expérimentée à Dijon sur le canal de Bourgogne, la réussite est éclatante et la décision est prise de mettre en œuvre le système sur la grande ligne de navigation entre Paris et le Nord, sur une distance de 88 kilomètres entre Béthune et l’Escaut.

Une compagnie est créée, la « Société de traction électrique sur les voies navigables », qui développe très progressivement son service. Il est vrai qu’elle n’a reçu qu’une autorisation précaire et révocable, pour trois ans, d’occuper le domaine public, en l’occurrence le contre-halage…

La société n’a obtenu aucun monopole et devra faire face à la concurrence de la traction animale sur le chemin de halage. Pourtant, le service se développe et passe de vingt tricycles en 1898 à cent vingt en 1900 !

Le « cheval électrique » qui peut tracter une péniche de 300 tonnes à 3 kilomètres à l’heure, ou deux à 2,5 kilomètres, se comporte bien. Par contre, la compagnie va être confrontée à un problème majeur, la très rapide dégradation de la voie. Après avoir investi des sommes très importantes pour l’entretien de celle-ci dans les premières années du XXe siècle, la société doit se rendre à l’évidence, le système ne sera jamais rentable… L’idée du tracteur sur rail s’impose pour­tant, et, malgré l’opposition des haleurs par chevaux, une nouvelle société est fondée en 1904. Elle obtient en 1907 la concession du halage électrique, toujours sans mono­pole, entre Béthune et le Bassin-Rond, soit 76 kilomètres. La nouvelle société dirigée par la compagnie minière de Lens dispose de ressources conséquentes et investit des sommes considérables. Il s’agit pour elle de développer le transport fluvial pour ne pas se retrouver devant le monopole de fait du rail pour la livraison de son charbon dans la région parisienne !

Une voie de chemin de fer d’une largeur de 1mètre est très vite construite, ainsi que plusieurs usines électriques.

Avec cette installation, l’ère des expéri­mentations se termine. La  traction sur berge va bientôt s’imposer sur un immense réseau de voies navigables.

Vers le monopole de la traction sur berge  : la naissance de la Compagnie générale de traction sur les voies navigables (C.G.T.V.N.)

Les entreprises de traction mécanique se multiplient dans les premières années du XXe siècle. Pendant la Première Guerre mondiale, l’Office national de la navigation, organisme lié au ministère des Travaux publics, équipe et exploite directement 140 kilomètres entre Janville et Etrun ! À la fin des hostilités, le devenir de ce service pose problème. Dans l’immédiat après-guerre, l’idée de regrouper toutes les compagnies pour une meilleure utilisation des moyens prend donc corps. Les arguments sont sérieux : il s’agirait d’unifier les matériels, de coordonner les services et ainsi d’autoriser une organisation plus souple sur le plan national, par exemple en déplaçant les tracteurs en fonction de l’évolution des trafics. Pourtant, c’est seulement en octobre 1926 qu’est créée la Compagnie générale de traction sur les voies navigables.

La nouvelle compagnie regroupe L’ O.N.N. (près de 50 % du capital), les chambres de commerce, les anciennes entreprises de traction, et les usagers dont les plus importants sont les compagnies houillères du Nord et du Pas-de-Calais.

En 1940, 1 271 tracteurs C.G.T.V.N. circulent le long des voies navigables du pays. Mais la C.G.T.V.N. n’assure pas encore le monopole de la traction car d’anciennes concessions subsistent, par exemple celle de la chambre de commerce de Dunkerque entre Dunkerque et Saint­ Omer, sous-traitée à la société La Traction du Nord.

L’unification de tous les services de traction mécanique est imposée par la loi du 11 novembre 1940.

Le parc de tracteurs de la C.G.T.V.N. est constitué  de plusieurs modèles adaptés aux voies desservies :

-tracteurs électriques sur rail destinés aux voies à grand trafic ;

-tracteurs électriques sur bandages pleins puis sur pneumatiques ;

-tracteurs à moteur Diesel.

En 1973, tous les services sont supprimés ; c’est la fin brutale de la batellerie de canal tractionnée.

Le touage

Le Rougaillou. Dessin rehaussé de Martial Chantre. Cahier du musée de la batellerie n°40, « Des chevaux, des péniches et des hommes ».
Paris. Vue prise du pont de la Tournelle, 10 heures, 20 mai 1894.
Les toueurs de la basse Seine. Toueurs électromagnétiques de la société générale de touage et de remorquage (S.G.T.R.). Les bateaux sont échoués à Creil (Oise) lors d’un « chômage ». Photographie originale, 1903.

L’idée de remorquer des bateaux en se halant sur un câble accroché à un point fixe remonte, nous l’avons vu, au milieu du XVIIIe siècle.

Si l’aquamoteur n’a connu que des appli­cations limitées à cause essentiellement des qualités insuffisantes des câbles de chanvre, alors seuls disponibles, le toueur à vapeur à chaîne ou à câble métallique va jouer un rôle important dans l’organisation de la traction.

Le premier toueur à vapeur à chaîne continue a été imaginé vers 1820 par l’ingénieur Tourasse. La mise au point est difficile et c’est seulement en 1839 qu’un premier service est opérationnel pour la traversée de Paris. La technique peut sembler simple : il suffit d’immerger au fond de l’eau une chaîne qui court sur toute la section à parcourir. Le toueur, bateau symétrique équipé d’un gouvernail à chacune de ses extrémités, est porteur d’une puissante machine à vapeur actionnant un treuil double sur lequel s’enroule la chaîne. Celle-ci, immergée dans le lit de la rivière, « monte » à bord guidée par une poulie fixée sur un bras articulé et retombe dans l’eau à l’arrière. Le toueur se tire donc lui-même sur cette chaîne, ainsi que le « train » de bateaux qu’il remorque. Dans la pratique, les problèmes à résoudre étaient nombreux : ruptures trop fréquentes des premières chaînes, déplacement de la chaîne dans le lit de la rivière, passage des écluses, etc.

Malgré tout, le système va se perfection­ner et s’imposer. En 1854, Napoléon III autorise l’établissement d’un service entre Conflans-Sainte-Honorine et l’entrée du canal Saint-Denis. Très vite, d’autres concessions sont accordées, entre Rouen et Conflans et, sur la haute Seine, entre Paris et Montereau, soit sur près de 500 kilomètres !

Le halage disparaît dans les zones couvertes par la nouvelle technique, du moins le halage à la remonte car les premiers toueurs n’assurent pas la descente. Le toueur à chaîne noyée est également installé en canal pour la traversée des souterrains. À partir des années 1880, de nouvelles perspectives s’ouvrent pour le toueur à vapeur. À cette époque, l’industrie est en mesure de fournir des câbles d’acier longs de plusieurs kilomètres, à la fois résistants et souples. Or les ingénieurs s’étaient vite aperçus que l’utilisation d’une chaîne noyée était impossible dans les fleuves et rivières à lit mobile. La chaîne disparaissait sous les bancs de sable ou de galets et ne pouvait plus être remontée. C’était en particulier le cas pour deux voies d’eau essentielles, le Rhin et le Rhône. La technique utilisant le câble appelé « touage à câble à relais », repose sur le même principe que le touage à chaîne noyée, mais diffère sur un point important. Le toueur est équipé d’une gigantesque bobine capable d’enrouler plusieurs kilomètres de câble (de 10 à 15 kilomètres pour les bateaux du Rhône). Parallèlement, le toueur à chaîne connaît un perfectionnement considérable en 1884 avec une nouvelle invention, le toueur à adhérence électromagnétique, système Bovet, du nom de son créateur. L’adhérence de la chaîne est renforcée par l’action d’un électroaimant placé dans  une roue à gorge unique de grand diamètre. Ce dispositif apporte  une grande souplesse dans l’utilisa­tion, car il est désormais  possible de libérer rapidement  le  toueur   de  sa   chaîne   en coupant le courant électrique. Le toueur est équipé d’une hélice qu’il utilise à la descente avec des bateaux vides comme un vulgaire remorqueur. Et surtout, lors des inévitables ruptures de la chaîne, la réinstallation de celle-ci, après récupération des deux extrémités et réparation, est désormais possible. Sur la Seine, les remorqueurs à hélice gagnent en puissance dans les premières années du XXe siècle et deviennent des concurrents féroces. Le dernier service de touage disparaîtra au début des années 1930.

Le remorquage

« Les remorqueurs ». Huile sur toile de R. Wach. Seconde moitié du XXe siècle.
Toueur à câble du Rhône, « Ardèche », construit en 1894. Un ancien marinier pose devant l’immense bobine…

Le remorquage a été utilisé exclusive­ment en milieu fluvial, pour remorquer les chalands fluviaux de gros tonnage et les bateaux de canal, péniches, flûtes, etc.

Lorsqu’ils naviguaient en rivière, les bateaux remorqués étaient disposés en « trains », les uns derrière les autres, en nombre plus ou moins grand, selon la taille des écluses de la voie fréquentée : cinq bateaux de canal sur l’Oise, quinze sur la Seine entre Conflans et Paris, etc.

La puissance du remorqueur est donc en fonction du service qui lui est demandé. Comme le touage, le remorquage est complémentaire du halage en canal ; ces trois dispositifs de traction couvrant tous les cas de propulsion de bateaux uniquement porteurs dits, sous cet angle, « bateaux tractionnés ». L’ensemble du dispositif est souple, car il permet l’immobilisation prolongée des bateaux porteurs utilisés comme volume de stockage en cas de besoin; il présente l’inconvénient de nécessiter la présence d’un équipage sur chaque bateau porteur pour assurer la présence au gouvernail en navigation.

À l’époque de son extension maximale, le remorquage est pratiqué sur 1800 kilomètres de rivières. Il ne fait, par contre, que de rares incursions sur les canaux.

L’histoire du remorqueur commence au début du  XIXe siècle, avec les premières tentatives de bateaux équipés de machines à vapeur et de roues à aubes. Les compagnies à l’origine du développement de cette technique s’orientent vers une solution mixte, le porteur-remorqueur, type de bateau   qui restera en vogue jusqu’à l’extrême fin du siècle.

Les premiers remorqueurs « classiques » bateaux à hélice non porteurs, apparaissent sur la Seine à la veille de l’exposition de 1867. Leur nombre augmente rapidement pour atteindre plusieurs centaines au tournant du siècle.

En 1951, le parc comprend encore près de 300 unités d’une puissance globale de 110 000 chevaux, mais le déclin est déjà bien engagé…

Le Rhône

« Pilat ». Remorqueur du Rhône du type « Pelvoux », construit en 1895, longueur 60,22 m, largeur 15,80 m, puissance 750 chevaux. Il sort de l’écluse de la Mulâtière. Photographie originale, fin du XIXe siècle.

La grande batellerie à vapeur du Rhône

Une extraordinaire batellerie à vapeur s’est installée sur le Rhône dans la première moitié du XIXe siècle.

Des « bateaux » tout en longueur (il fallait passer sous les arches des ponts) et munis d’une puissante machine à vapeur actionnant les roues à aubes sont construits pour de grandes compagnies de navigation.

En 1848 apparaissent les « grappins » qui se propulsaient, avec les barques qu’ils remorquaient, grâce à une énorme roue dentée qui mordait le lit du fleuve.

Plus tard, à l’instigation de la Compagnie générale de navigation H.P.L.M., un système original est utilisé. Des toueurs qui se tractaient eux-mêmes sur un câble d’acier de 10 à 15 kilomètres de longueur permettent de tracter les barques dans les passages les plus difficiles. Le câble s’enroule sur une gigantesque bobine installée sur le toueur et actionnée par une machine à vapeur.

De puissants remorqueurs sont également construits pour prendre le relais dans le reste du parcours.

La Compagnie générale de navigation H.P.L.M. a été la plus importante des com­pagnies françaises de navigation intérieure. À son apogée, au lendemain de la Première Guerre mondiale, près de mille bateaux divers portaient ses couleurs sur toutes les voies navigables de notre pays, de Lille à Marseille et de Nancy au Havre.

Le remorqueur rhodanien : le type « Pelvoux »

La loi votée le 13 mai 1878 avait décidé l’exécution d’un programme de travaux destinés à régulariser et approfondir le lit du fleuve. Après de longues études, la Compagnie générale de navigation décide de construire un formidable matériel pour permettre le transport de marchandises entre Lyon et Marseille, sans rupture de charge. La traction des convois sera assurée entre Lyon et Valence, ainsi qu’entre Pont-Saint-Esprit et Saint-Louis, par des remorqueurs à roues et, dans la section Valence-Pont-Saint­ Esprit, qui est celle des rapides, par des toueurs.

Le service est opérationnel dès 1895. Huit remorqueurs seront finalement com­mandés aux chantiers du Creusot de1893 à 1908. Les bateaux mesurent de 60 à 63 mètres de long pour une largeur totale hors tambours de 15,80 mètres. Les remor­queurs peuvent ainsi passer l’écluse de la Mulâtière à Lyon. Leur tirant d’eau est inférieur à 1,10 mètre !

Le choix de la roue à aubes s’explique par cette nécessité d’un tirant d’eau minimum pour pouvoir naviguer le plus longtemps possible. Rappelons que la canalisation du Rhône, gigantesque programme réalisé sous l’égide de la Compagnie nationale du Rhône, ne se fera que tardivement au XXe siècle…

Les remorqueurs ont un équipage de treize hommes : un patron, un second, un mousse, un charpentier, trois mariniers, deux mécaniciens et quatre chauffeurs. Ces remorqueurs tractionnent deux barques, à la descente ou en remonte, grâce à une machine de 900 chevaux.

Le « France », seconde génération des remorqueurs du Rhône

Le « France » et son convoi dans le canal de Donzère-Mondragon.
Le « Saint-Malo », remorqueur du Rhin, a embarqué les membres d’un congrès de la navigation. Photographie originale, vers 1950.

« Paquebot » à vapeur et à hélice de la Compagnie H.P.L.M. sur la Seine à Paris. Photographie originale, fin du XIXe siècle.

En décembre 1911 une compagnie rivale est créée sur le Rhône sous le nom de Compagnie lyonnaise de navigation et remorquage (C.L.N.R.). Elle fait construire trois remorqueurs à roues à aubes inspirés des remorqueurs rhénans, le France, le Provence et la Lorraine, plus grands et plus puissants que ceux de la Compagnie générale. Les bateaux, longs de 71 mètres et larges de 20, ne peuvent plus passer par l’écluse de la Mulâtière et donc naviguer sur la Saône. Par contre, leur concept est particulièrement original : si leurs machines ont une force moyenne de 1 000 chevaux, il est possible de doubler cette puissance pendant quelque temps pour le franchissement des rapides.

Ils peuvent donc remorquer « de bout en bout , (de Lyon à Marseille) des convois de trois barques !

C’est un progrès considérable par rapport au service de la Compagnie générale de navigation car le recours aux toueurs entraînait une réelle perte de temps. Malheureusement ces puissants remor­queurs à double cheminée ont un tirant d’eau important et sont immobilisés une partie de l’année…

Le remorqueur rhénan

Le remorquage sur le Rhin est multiforme ; les conditions de navigation varient en effet très sensiblement sur les différentes parties du fleuve. Ainsi par exemple, sur le bas Rhin, qui présente toute l’année une grande profondeur d’eau, on utilise des remorqueurs à hélice. À l’opposé, entre Strasbourg et Bâle, seuls peuvent naviguer des remorqueurs à roues à aubes de très faible tirant d’eau et à superstructures basses pour pouvoir passer sous les ponts de Kehl. À l’instar du Rhône, dès qu’il est nécessaire de disposer d’une grande puissance pour la remonte, combi­née avec un faible tirant d’eau, le remorqueur à roues à aubes s’impose…

Le remorqueur à hélice est plus écono­mique mais ne peut fonctionner correcte­ment qu’à l’enfoncement minimum de 2 mètres.

La France a construit ses premiers remorqueurs à roues à aubes pour le Rhin moyen et supérieur après la Première Guerre mondiale.

LE BATEAU FLUVIAL A HÉLICE

Le porteur « Picardie »
Demi-coque réalisée par la Compagnie générale de navigation (H.P.L.M.) pour la décoration de son siège social. Don : H.P.L.M. Porteurs à vapeur et à hélice « Calvados », « Manche », « Orne » et « Picardie ». Série construite à Rouen entre 1899 et 1900. (« Picardie » : longueur 38,63 m, largeur 5,09m, machine de 90chevaux.) (c) P. Lemaître.
« Le Monde illustré », 25 octobre 1879. « Accident d’un bateau-mouche sur la Seine ». Dessin de M. Valnay.

Le bateau à hélice va très vite s’imposer dans le monde de la navigation fluviale grâce à la canalisation des rivières. Le niveau d’eau plus élevé toute l’année per­met de remplacer l’encombrante et fragile roue à aubes par l’hélice, plus économique. Les premières unités fluviales à hélice seront les bateaux destinés aux transports urbains de passagers lyonnais au début des années 1860. Puis viendront les premiers remorqueurs en 1866 et les porteurs auto­moteurs.

Les bateaux-mouches sur la Seine

« Les premiers beaux jours ; le retour de la campagne ». Lithographie couleur de Weber. Fin du XIXe siècle.

Avec la canalisation du petit bras de la Seine (barrage éclusé de la Monnaie) dont les travaux ont commencé au mois de mai 1850, la mise en place d’un service de bateaux à voyageurs devient envisageable dans la traversée de Paris.

Cependant, la Seine est encombrée de multiples ports et établissements flottants (bateaux-lavoirs, bateaux-bains, etc.), le trafic commercial est intense, et les ingénieurs de la Navigation sont plus que réticents…

Dès 1852, les premières demandes d’autorisation pour l’établissement d’un service parviennent au ministère des Travaux publics et à la préfecture de police. Sollicités, les inspecteurs de la Navigation mettent en avant les « difficultés insurmontables » et de façon plus surprenante, la « clientèle insuffisante ».

L’Exposition universelle de 1867 approche et les demandeurs se font plus pressants ; plusieurs articles de presse enthousiastes paraissent fort opportunément !

Finalement, les autorités politiques interviennent et la consigne est donnée d’instruire les dossiers sans se préoccuper de la « praticabilité » mais seulement du point de vue de l’organisation et de la réglementation. Les choses vont alors aller très vite ; le principe est retenu de n’autoriser qu’un seul service pour des raisons de sécurité et de choisir, après expérimentation des différents matériels proposés, une société qui bénéficiera de l’exclusivité.

En  avril 1866 des pontons provisoires sont installés et trois bateaux évoluent devant une commission spécialement constituée. L’un des bateaux est très vite rejeté et seuls restent en lice une société anglaise qui fait évoluer un bateau à roues à aubes et la Compagnie des bateaux omnibus de Lyon qui présente un bateau à vapeur à hélice… Le bateau anglais a une marche supérieure, mais est beaucoup moins maniable. La supériorité de l’hélice éclate au grand jour : grande facilité pour virer, moindre encombrement, remous moins violents…

Par arrêté du préfet de police du 10 août 1866, la compagnie lyonnaise est autorisée à établir son service entre le pont Napoléon et le viaduc d’Auteuil. Le succès est immédiat ; pendant l’Exposition universelle de 1867, du 14 avril au 31 décembre,  ce sont plus de 2,7 mil­lions de passagers qui sont transportés. L’exposition universelle de 1900 marquera l’apogée des services. Un nouveau  matériel a été construit et la compagnie aligne plus de cent bateaux. Dans les premières années du XXe siècle, le déclin est brutal devant la concurrence des nouveaux moyens de transport, en premier lieu le métropolitain.

La compagnie cesse toute activité à la fin de la Première Guerre mondiale. Les bateaux et les pontons seront rachetés par la Société de transport en commun de la région parisienne, émanation des collectivités territoriales et un service réduit fonctionnera jusqu’en 1933. Mais l’entreprise n’est plus économiquement viable et sa survie est artificielle.

Le remorqueur fluvial à hélice

Le premier remorqueur à hélice travaille sur la Seine en 1866. C’est un bateau profond inspiré des constructions maritimes. Les premières hélices ont des rotations relativement lentes et sont d’un grand diamètre. Pour une bonne efficacité, elles doivent être profondément immergées. Avec la traction mécanique sur berge et le touage, le remorquage à hélice sera le troisième « moteur » du développement de la grande batellerie tractionnée.

À  partir de la fin des années 1920, le moteur Diesel va se substituer très progressivement à la machine à vapeur. Les sociétés profiteront souvent des dommages de guerre  après le second conflit mondial pour transformer leurs unités, essentiellement pour faire des économies sur le personnel. En effet, l’encombrement de la machine à vapeur et du combustible n’était pas un argument prioritaire dans la mesure où le remorqueur est exclusivement utilisé pour la traction. Les porteurs à hélice mus par une machine à vapeur disparaîtront  beaucoup  plus rapidement du paysage fluvial…

Le port de Roanne au début du XXe siècle. Carte postale colorisée.

LA GRANDE BATELLERIE INDUSTRIELLE

La grande batellerie du Nord : la péniche

La péniche du Nord, c’est avant tout le transport du charbon pour alimenter la région parisienne. Le voyage, entre les bal­lages de chargement des mines et Paris, dure de deux à trois mois au début du XXe siècle. Les bateaux empruntent le canal de Saint-Quentin qui unit le bassin de l’Escaut au bassin de la Seine par l’Oise. En 1913, c’est plus de 36 000 passages qui sont enre­gistrés par les éclusiers, soit près de cent bateaux par jour. Le tonnage de charbon transporté cette année-là est de 5,4 millions de tonnes ! Le canal  de Saint-Quentin, inauguré par Napoléon en 1810, franchit la ligne de partage des eaux à Lesdins grâce à deux souterrains.

Le halage animal

Les « Pénichiens ». Bateau  » Jeune Clodomir ». Photographie originale, début du XXe siècle.

L’organisation ancienne reposait sur le système dit « aux longs jours ». Le marinier traitait directement avec un charretier de halage pour conduire son bateau à destination. Bien entendu, au plus fort des travaux agricoles, il était souvent difficile de trouver  un charretier… Le problème était le même en période de crue ou en hiver, où les volontaires étaient peu nombreux !

Les prix variaient en fonction de l’offre et de la demande et les mariniers, pris en otage, devaient parfois accepter des tarifs très élevés; c’est à l’évidence ces abus qui sont à l’origine de l’achat par certains mariniers de leurs propres chevaux et de l’installation  d’une écurie centrale à bord du bateau.

Le halage animal a été réglementé et organisé par l’administration dès le milieu du XIXe siècle.

C’est bien entendu la grande ligne de navigation Charleroi-Paris, la route du charbon, qui la première voit la mise en place de la nouvelle organisation (arrêté du préfet du Nord du 21 juin 1855).

La voie d’eau est partagée en sections et en relais. Toute personne souhaitant se livrer au halage doit s’inscrire sur un registre et choisir une section où travailler.

Deux catégories de haleurs sont en fait créées : les haleurs dits « ordinaires  » et les haleurs «auxiliaires » qui ne peuvent travailler que si les premiers sont tous mobilisés.

La vitesse des bateaux est également réglementée : 2 kilomètres à l’heure pour les bateaux ordinaires, 3 pour les bateaux du service accéléré (sur autorisation spéciale). Le système est également contraignant pour le marinier puisque le halage est obligatoire pour tous les bateaux, qu’ils soient chargés ou vides. Plus ques­tion donc de faire des économies en halant sa péniche à bras d’homme avec l’aide de la famille… Par contre, les bateaux-écuries gardent leur liberté.

« La cabine d’un bateau de rivière « . Dessin d’Eustache Lorsay. « Le Magasin pittoresque », 1871.
Les mariniers en grève en 1933, le barrage de Chauny. Photographie originale.

La famille embarque à bord …

Au début du XIXe siècle, comme le prouvent les témoignages rassemblés ici, les bateaux de canal du Nord reçoivent un logement et toute la famille vit  à bord. C’est une étape majeure de l’histoire de la navigation intérieure.

Publicité parue dans le « journal de la navigation ». 29 octobre 1928.

Les équipages des batelleries traditionnelles sont exclusivement masculins. Les mariniers possèdent une maison à terre où ils retrouvent régulièrement leur famille. Les voyages sont courts et suivent les rythmes des « saisons du fleuve ». La navigation est interrompue lorsque la rivière est trop « grosse » ou au contraire quand les « maigres » ne laissaient plus un mouillage suffisant. Dans beaucoup de régions, les mariniers « saisonniers » travaillent aussi la terre pour compléter leurs revenus.

Progressivement, au XIXe siècle, les mari­niers deviennent donc des « nomades »‘· Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette révolution dans le mode de vie des mariniers et l’organisation du transport fluvial.

Sur le réseau issu des gigantesques travaux de la canalisation généralisée, la navigation est beaucoup moins difficile et dangereuse qu’autrefois. Sur les canaux et rivières canalisés le courant n’existe plus, ce qui permet une navigation apaisée. Partout l’écluse a remplacé l’ancien pertuis, il n’y a plus de remontes spectaculaires derrière des cohortes de chevaux ou des descentes tumultueuses à gré d’eau…

Deux personnes suffisent désormais à la conduite et à l’entretien des bateaux de canal, pourtant beaucoup plus grands que ceux des anciennes batelleries traditionnelles. Les nouvelles conditions de navigation imposent beaucoup moins le recours à la force physique du marinier, comme c’était le cas pour les grandes batelleries à voile par exemple.La canalisation générali­sée, c’est aussi et surtout la possibilité pour un bateau de naviguer sur un immense réseau. Les voyages s’allongent progressi­vement et finissent par durer des mois. Et très vite, dans le courant du XIXe siècle, les mariniers doivent se défendre contre la concurrence du chemin de fer. Pour une famille, ne plus avoir à acheter et entretenir une maison est une première économie très importante. Si la femme « monte » à bord et assume le travail du matelot, le coût de l’entreprise de transport est fortement abaissé…

Au début du XXe siècle, le phénomène s’est, partout, généralisé. Il reste cependant plusieurs types de bateaux dont l’équipage est toujours exclusivement composé d’hommes  : les toueurs, les remorqueurs, les grands chalands de rivière et, plus tard, les pousseurs.

L’organisation du transport fluvial aux XIXe et XXe siècles

L’organisation du transport fluvial se caractérise par la coexistence de transporteurs de nature et de taille très variées :

  • les flottes privées effectuent les trans­ports pour leur propre compte (les bateaux sont propriété de la société qui les utilise exclusivement pour le transport des mar­chandises ou produits de son industrie ou de son exploitation. Ces flottes privées sont principalement détenues par les entreprises du secteur des matériaux de construction, du pétrole et de la chimie) ;
  • les transporteurs « publics » effectuent les transports pour compte d’autrui ; à côté des milliers d’artisans, possédant ou exploi­tant un ou deux bateaux, c’est dans cette catégorie que l’on trouve ces « oubliés de l’Histoire », les grandes compagnies et les petites flottes.

Depuis quelques années, les études, les reportages ou les films traitant de la batellerie artisanale se multiplient…

Les armements fluviaux, par contre, n’avaient encore fait l’objet d’aucune recherche approfondie jusqu’à une date récente.

Le recensement de la navigation inté­rieure de la France réalisé en 1912 donne une bonne image de l’importance de notre flotte fluviale qui dépasse de loin, en volume, celle de la marine : 45 000 personnes vivent sur 15 000 bateaux !

La proportion des péniches peut être estimée à 7 000 et la population des mari­niers du Nord à 20 000 personnes…

La « péniche » est devenue un terme générique utilisé pour désigner tous les types de bateaux de canal en bois… Pourtant, si ses lignes restent stéréotypées

  • on parle parfois de « boîte à chaus­sures » !
  • la  péniche est un outil complexe, parfaitement adapté aux nouvelles conditions de navigation et surtout qui a su évoluer au fil des ans. Un œil exercé est capable de dater un de ces bateaux à dix ans près.

De nombreux types régionaux très marqués ont également subsisté jusqu’au milieu du XXe siècle.

La péniche du Nord est équipée d’un grand mât de halage pour la rivière et de deux mâts pour le halage en canal.

Ce modèle sera adopté dans toutes les régions, par les chantiers du Centre, comme de l’Est.

Le canal de Berry

Le canal de Berry a été achevé et mis en eau en 1840. Il a été déclassé en 1955.

Le canal de Berry est d’un gabarit plus étroit que les autres canaux français, ses écluses mesurent 2,70 mètres de largeur et 28 mètres de longueur. De ce fait, il n’était accessible qu’à des bateaux spécialement construits pour lui, les « Bé de Cane » au milieu du XIXe siècle. Puis, un peu plus tard, les « flûtes berrichonnes « . Ces bateaux fréquentaient tout le réseau des canaux du Centre, la Seine et leurs canaux annexes. Initialement tirés par deux haleurs payés « à la tâche », un sur chaque rive du canal, les artisans propriétaires utilisèrent ensuite des ânes d’Algérie, de très petite taille, puis des mulets.

Le canal de Berry est à l’origine du développement industriel de Montluçon et de Vierzon au cours de la seconde moitié du XIXe et au début du XXe siècle.

La construction métallique

Le « Pierre Joly », premier métallique à hélice, construit en 1863. En haut, le lancement du bateau. En bas, plan du dispositif de « monte et baisse » de l’hélice.

La « chambre du reu » sert ici surtout de buanderie… Dessin original, vers 1950.
Logement arrière (« reu ») du bateau de canal tractionné métallique le « Cléon ». Plan anonymes, vers 1950.

À partir de 1822, la construction de bateaux en tôles de fer rivées se répand progressivement,  notamment sur la Seine. C’est en effet dans la navigation fluviale, à cause de la faible profondeur de l’eau et de la présence de bancs de sable, que les avantages principaux de cette construction, la légèreté et la rigidité, présentent le plus d’intérêt. Depuis cette époque, la construction métallique n’a cessé de se répandre au détriment du bois, la tôle d’acier entre en usage au cours de la deuxième moitié du siècle ; la soudure remplace le rivetage à partir de 1920. Aujourd’hui tous les bateaux de navigation intérieure sont construits en tôles d’acier soudées.

Mais la cale peut également être entière­ment couverte par des écoutilles amovibles étanches, ou par des bâches pour protéger les marchandises fragiles.

La lente disparition de la batellerie en bois

De gauche à droite :
Le bras Favé à Conflans-Sainte-Honorine dans les années 1970. Un cimetière de bateaux…
Le « Rollon », une des dernières péniche en bois.
Les épaves des bateaux « Rollon » et « Jogaly ». (c) Annette Pinchedez, 1982.

Au début du XXe siècle, il existait encore une grande diversité de types de bateaux, héritage du passé, correspondant à autant de techniques de construction et de navigation, d’organisations sociales, de traditions… Les dernières unités de ces batelleries en bois ont disparu dans le dernier quart  du XXe siècle.

Il n’existe plus aujourd’hui de « bélandre » ou de « baquet d’Arras ». Les « flûtes » du Centre ou de Bourgogne, les « berrichons », les « mignotes » de la Meuse ne sont plus qu’un souvenir… Les « coutrillons », les « sapines » ou les « barques de patron » du canal du Midi ne subsistent plus qu’à  l’état d’épaves dans de rares cimetières de bateaux.

Il n’y a plus non plus une seule péniche du Nord à flot, cette reine de la grande batellerie de canal…

l’automoteur

Dessin de Martial Chantre. « Qui se souvient encore de ce qu’était un semi-diesel? Il serait sans doute un peu long d’en expliquer le principe même. Pour la mise en route, on chauffait cette partie avec une grosse lampe à souder, puis on le lançait dans une bouteille avec l’air comprimé à 15 kilos au centimètre carré. »
Bateau « Fix » à M. Renoir. Motorisation avec hélice dans le gouvernail ; moteur Kromhout de 30 chevaux. Travaux réalisés en 1929 sur le chantier Broutin à Laneuveville-devant-Nancy.
Automoteur construit par les chantiers Plaquet, vers 1930. Ces chantiers étaient particulièrement réputés. Le « meublage » des logements était luxueux.

À cause de l’encombrement de la machine à vapeur, le bateau porteur à hélice restera nous l’avons vu d’un usage limité aux services de messageries ; pour le fret lourd il ne peut lutter contre la concur­rence de la batellerie halée. C’est l’invention du moteur à combustion, le moteur Diesel, à la fois puissant, léger et peu encombrant qui va permettre la généralisation de l’automoteur. Le terme d’automoteur recouvre deux catégories distinctes de bateaux : le chaland automoteur de rivière et l’automoteur de canal.

L’automoteur de canal

Les « paquebots » à vapeur, à roues à aubes ou à hélice, étaient déjà des « automoteurs ». Pourtant on réserve ce nom aux bateaux de charge métalliques, mus par une hélice entraînée par un moteur à explosion… L’automoteur de canal est un bateau de gabarit Freycinet, comme  la péniche tradi­tionnelle en bois.

L’adaptation d’une hélice et d’un moteur à explosion sur un bateau de canal posait de difficiles problèmes techniques et entraînait une modification radicale des aménagements intérieurs et du mode de vie des mariniers. Plusieurs solutions sont expérimentées au lendemain de la Première Guerre mondiale. Il fallait trouver un dispositif qui fonctionne correctement que le bateau soit vide, c’est-à-dire à peine enfoncé dans l’eau, ou chargé et touchant presque le fond du canal. Deux techniques vont être utilisées : l’hélice mobile en hauteur, dite « monte et baisse », et l’hélice fixe avec dispositif de ballastage.

Le Chaland citerne « Cochinchine ». Photographie originale colorisée de Charles Fiquet, dit « Radar », vers 1950. Bateau de la société Desmarais Frères.

Pour les anciens bateaux de canal tractionnés, c’est le système dit « motogodille » qui va être le plus utilisé.

C’est  en Belgique, dans les années 1930, que l’automoteur de canal atteint son apogée. Les chantiers sortent des bateaux rivés de grande qualité, très recherchés par les mariniers français. Les aménagements sont luxueux et les heureux possesseurs deviennent les nouveaux « seigneurs du fleuve » !

L’ameublement intérieur des automoteurs des années 1930 est particulièrement soigné : bois exotiques, marqueterie, sculptures, appliques de bronze, fausse chemi­née de marbre, glace biseautée et vitraux de couleur… L’escalier permet  de communi­quer avec la timonerie.

Le chaland de rivière automoteur

Le chaland de rivière a un port en lourd variant, pour la Seine, de 400 à 1200 tonnes. Il présente des formes avant et arrière plus fines que le bateau de canal pour pouvoir remonter le courant des rivières en crue. Ces bateaux ont pour la plupart été construits pour des compagnies de navigation.

LA RECONSTRUCTION DE LA FLOTTE INTÉRIEURE AU LENDEMAIN DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE

Les pertes représentent 20 % du  parc en exploitation en 1938, soit environ 2 200 unités.

La catégorie la plus touchée est celle des péniches de 38,50 mètres en bois (estima­tion des pertes : 1 420 unités), car la plupart des bateaux sinistrés n’étaient pas réparables. Or, il n’est pas question pour les autorités de reconstruire des bateaux en bois inadaptés aux techniques modernes de manutention. Ils supportent mal les chargements et déchargements mécaniques brutaux…

La naissance de la S.R.P.F.

Comment financer la reconstruction de la flotte ?

En standardisant et normalisant les types de bateaux et en élaborant des programmes de constructions en  série,  les ingénieurs de l’ O.N.N. ont fait le maximum pour réduire les coûts. Pourtant il faut se rendre à l’évidence : les indemnités de dommages de guerre auxquelles ont droit les sinistrés ne couvriront pas le montant des dépenses… Et après des années de guerre, les mariniers artisans sont dans l’in­capacité de payer la différence.

À la fin de l’année 1945, la création d’une société professionnelle des sinistrés de la batellerie est à l’étude. La société est constituée officiellement le 20 décembre 1946 sous la dénomination de « Société pour la reconstruction et le renou­vellement du parc fluvial » (S.R.P.F.).

Avec plus de 2 000 unités construites sous sa responsabilité, la S.R.P.F. a été un acteur essentiel de l’évolution de la batellerie.

Une flotte plus homogène

La logique de la S.R.P.F., le choix d’un parc homogène, a heurté la sensibilité des artisans mariniers. Car en effet, la péniche est un outil de travail mais aussi et surtout, un cadre de vie… Qui voudrait d’une mai­son ou d’un appartement identique dans tous ses détails à celui de son voisin ?

La fierté du marinier pour son bateau­ habitation n’a pas été suffisamment comprise par les concepteurs des programmes, ce qui explique le rejet des premiers temps. Il ne faut pas nier non plus que des erreurs techniques ont été commises pour les premières séries soudées, véritables « nids de rouille »… Mais il faut aussi reconnaître que les chantiers ont fait de réels efforts et ont constamment amélioré leurs prototypes.

Le bateau soudé a été au centre de toutes les polémiques. Aujourd’hui encore, les vieux mariniers à la retraite sont nombreux à dénigrer ces unités construites en acier doux Thomas, donc « beaucoup moins bien » que l’acier Martin, utilisé jusqu’alors (l’acier Martin est plus cassant mais rouille beaucoup moins, il est plus difficile à souder).

Pour autant, la S.R.P.F. n’a pas révolu­tionné le transport fluvial…

Après la reconstruction, la flotte est profondément modifiée ; cependant la société n’est pas directement à l’origine de la plus importante mutation, le passage d’un parc essentiellement tractionné à un parc automoteur.

La construction en série existait avant la Seconde Guerre mondiale, qu’il s’agisse des « gros numéros », construits en Allemagne au titre des réparations des dommages de la Grande Guerre, ou des séries plus limitées commandées par les compagnies.

Les premiers bateaux fluviaux partielle­ment ou entièrement soudés sont sortis juste avant 1940…

La S.R.P.F. a ici simplement servi d’accélérateur de l’histoire.

La motorisation de la flotte a eu des conséquences beaucoup plus importantes sur l’évolution du transport fluvial et sur le changement des modes de vie. Or, nous sommes obligés de constater que la Société n’a pas joué de rôle « moteur » dans ce domaine.

La motorisation a entraîné une forte augmentation du rendement. Avec presque le même nombre de bateaux, la flotte de canal assure en 1960 un trafic supérieur de 40 % à celui de 1950.

LES ÉVOLUTIONS DE  LA SECONDE MOITIÉ DU XXe SIÈCLE

L’infrastructure a peu changé depuis l’apogée de cette navigation « tractionnée » au début de notre siècle.

Mais la batellerie a, elle, poursuivi son évolution technique et son adaptation aux nouvelles contraintes économiques.

L’automoteur en fer finit par s’imposer au lendemain de la Seconde Guerre mondiale grâce entre autres à une politique volontariste menée par la Société pour la reconstruction et le renouvellement du parc fluvial.

Une seconde innovation a vu le jour à la fin des années 1950, le poussage. Cette technique importée des États-Unis va se substituer au remorquage sur les fleuves et les rivières à grand gabarit. La grosse batellerie (grands automoteurs et poussage) parvient à se maintenir face à ses concurrents terrestres sur les voies dites à grand  gabarit,  anciennes ou,  beaucoup plus rarement, nouvelles : basse Seine, Saône et Rhône, Rhin, Moselle, etc.

Sur le réseau des canaux, la situation va par contre se dégrader rapidement. L’automoteur de 38,50 mètres de long, autonome, rapide, n’est pas adapté au réseau Freycinet aux trop nombreuses écluses qui augmentent considérablement les temps du transport. La concurrence de la route est telle que les mariniers artisans abandonnent l’ancien réseau et se retrouvent en concurrence avec la grosse batellerie sur les rares voies à grand gabarit.

Combat inégal, même si beaucoup d’entre eux ont fait l’acquisition d’un second bateau pour doubler leur capacité de charge (un des bateaux, fortement motorisé, pousse devant lui le second bateau transformé en barge : c’est le pous­sage artisanal…).

Plusieurs canaux dont  le trafic commer­cial était devenu  très faible ont été déclas­sés et l’État a mis en place une politique de « déchirage » , (destruction) de la flotte de gabarit Freycinet.

Le poussage

Le principe de cette innovation introduite en France en 1955 à partir des États-Unis est simple : un bateau moteur et directionnel, le « pousseur », propulse devant lui des unités exclusivement porteuses, les « barges », assemblées de façon rigide. L’ensemble du « train de poussage » se comporte et se conduit comme un unique bateau.

Les avantages, par rapport au remorquage, sont nombreux : les  barges n’ont, contrairement aux péniches tractionnées, pas besoin d’équipage…

Le convoi poussé gagne en manœuvrabi­lité et la résistance à l’eau est fortement diminuée. Le poussage a contribué à la disparition des anciennes batelleries tractionnées. Les artisans mariniers n’ont pas pu profi­ter de cette nouvelle technique, du  moins jusqu’à une date très récente. La construction d’un pousseur et de plusieurs barges était pour eux hors de portée pour d’évi­dente raison financière.

Cependant, ils vont s’inspirer du système et adapter leurs anciens matériels pour faire de « l’autopoussage », en motorisant plus fortement leur automoteur et en rachetant un autre vieux Freycinet, trans­formé en barge… Le couple de mariniers double ainsi sa capacité de transport.

Aujourd’hui, plusieurs mariniers sont allés plus loin en développant des « micro­ pousseurs ». Les anciens automoteurs sont amputés de leur cale, un véritable front de poussage et une timonerie télescopique sont instal­lés. Grâce aux nouveaux moteurs Diesel très puissants, ces petits pousseurs peu vent se louer pour le transport de barges…

UNE INFRASTRUCTURE NÉGLIGÉE AU XXe SIÈCLE

Les hommes du siècle héritent d’un immense réseau de voies navigables de plus de 8 500 kilomètres de long (soit de loin le plus grand réseau d’Europe). Mais ce réseau, très dense, est essentiellement constitué de canaux au gabarit Freycinet. Il va très vite se dévaluer dans un siècle marqué par une accélération des progrès scientifiques et technologiques.

La voie d’eau va être surclassée par le rail au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et, dans les années 1970, par les camions.

Les efforts de la profession pour résister aux transports concurrents  étaient illusoires, même si les nouveaux moyens de traction ou  le nouveau matériel issu des programmes de la Reconstruction ont ralenti le déclin. Seuls des investissements lourds sur la voie elle-même pouvaient rétablir l’équilibre.

Or, le bilan est ici dérisoire : quelques travaux isolés comme l’aménagement de la Moselle ou le canal de Dunkerque à Valenciennes, et une unique grande entre­ prise, la canalisation du Rhône. Faute de crédits suffisants, le réseau ancien s’est également fortement dégradé après 1950 ce qui n’a pu qu’accélérer la débâcle.

Depuis les années 1990, la prise de conscience de ce qui peut être considéré comme un véritable gâchis des potentialités de notre  pays est réelle.

Alors que l’on évoque le doublement nécessaire des grandes autoroutes, que l’on parle de plus en plus du ferroutage (transport des camions sur wagons de chemin de fer pour les longs parcours) pour lutter contre les nuisances, on redécouvre progressivement les atouts de la navigation intérieure.

Les réalisations étrangères, et en premier lieu le canal à grand gabarit reliant le Rhin au Danube ouvert en 1992, ont relancé le débat sur l’avenir du transport  fluvial.

Celui-ci est plus que jamais d’actualité avec le projet de liaison à grand gabarit Seine-Nord-Europe qui doit relier la Seine par l’Oise au canal Dunkerque-Escaut. Car un canal à grand gabarit qui respecte la nature et le cadre de vie n’est pas une utopie… Il suffit d’accepter d’en payer le prix financier.

Aujourd’hui, il faut savoir relever ce défi!

AUJOURD’HUI ET DEMAIN DE NOUVEAUX ATOUTS POUR LA VOIE D’EAU

Depuis leurs inventions respectives, les transports sur route et sur voies ferrées ont fait des progrès considérables.

La navigation intérieure a toujours su s’adapter et a répondu à ses nouveaux concurrents en jouant sur l’augmentation des tonnages des bateaux et l’allongement des parcours.

La batellerie garde à l’évidence l’avantage sur les voies à grand gabarit : les trafics augmentent et se diversifient grâce aux conteneurs.

L’avenir est donc tout  tracé;  la construc­tion d’un nouveau réseau de canaux de jonction à grand gabarit reliant les grandes voies d’eau françaises et européennes permettrait d’ouvrir une nouvelle ère de l’histoire du transport fluvial.

L’avenir est ainsi commencé… ailleurs !

Seine-Nord, Moselle-Saône, Rhin-Danube ; un seul de ces axes, le dernier, est aujourd’hui ouvert à la navigation.

Aujourd’hui…

Toutes les liaisons interbassins sont encore au gabarit imaginé à la fin du XIXe siècle.

L’artisanat batelier a beaucoup souffert de la chute de trafic des années 1985 à 1998. La population marinière a fortement diminué et représente aujourd’hui moins de 1 000 entreprises familiales. De très nombreux bateaux de gabarit Freycinet ont été « déchirés » (détruits).

Pourtant, depuis une dizaine d’années, l’espoir renaît : la population redécouvre La voie d’eau, les décideurs économiques et les élus ont pris conscience de la nécessité du rééquilibrage et de la complémentarité entre les modes de transport.

La voie d’eau dispose en effet de formidables atouts qui pourraient s’avérer décisifs: le transport fluvial est économe en énergie, peu bruyant et, les statistiques le prouvent également, plus sûr…

Les agglomérations sont victimes d’engorgement routier et les grands axes autoroutiers sont saturés.

Le retraitement des déchets, heureuse­ment devenu une priorité, impose des transports sur de longues distances pour rejoindre les centres spécialisés…

Enfin, le développement des trafics par conteneurs permet à la voie d’eau de reconquérir des marchés perdus au XXe siècle…

L’établissement public Voies navigables de France, créé en 1991 pour gérer le réseau des voies navigables, a été un acteur clé de cette prise de conscience et de ce renouveau. En mettant en avant la « polyvalence de  la voie d’eau » (transport, tourisme fluvial, sports nautiques, alimentation  en eau des populations et des industries, etc.), VNF a fortement contribué au nouveau regard que nous portons sur le réseau de navigation intérieure.

Un avenir pour le transport Fluvial!

« La politique européenne des transports à l’horizon 2010 », texte approuvé par la Commission européenne le 18 juillet 2001, permet d’appréhender ce qui pourrait être l’avenir de la voie d’eau.

Les grandes orientations définies dans ce document de plus de 120 pages marquent une première concrétisation de la prise de conscience que nous mentionnons : la voie d’eau est bien présentée comme une alternative au « tout routier », respec­tueuse de l’environnement et complémentaire du rail…