Du château de bois au château de pierre
Les querelles de familles s’apaisent bientôt. Bouchard a gagné la guerre et les Montmorency obtiennent des droits sur les revenus du fief de Conflans. Ils en deviennent donc coseigneurs laïcs, le prieur étant aussi seigneur pour une autre partie. Le comte de Beaumont, premier possesseur du lieu, reste le vassal de l’évêque de Paris. Le seigneur de Montmorency devient, lui, vassal du comte et perçoit la moitié du péage fluvial. Le comte de Beaumont construit un château de pierre : la tour Montjoie. C’est un impressionnant donjon défensif qui domine le fleuve et fait du castrum de Conflans une véritable place forte entourée de murailles.
Le culte des reliques
Au Moyen Âge, les restes des saints provoquent une dévotion particulière. La vénération des reliques des martyrs est l’occasion de pèlerinages et de célébrations. Les cités qui les accueillent ont une source de revenus non négligeable. Sainte Honorine est connue pour aider à la guérison des malades, à la délivrance des prisonniers et des femmes enceintes. Celles-ci, peu avant l’accouchement, venaient se faire imposer une des chaînes offertes en ex-voto par les prisonniers libérés. Le dimanche qui suit le 27 février, fête de la sainte, la châsse contenant les reliques est portée en procession dans les rues du village. Les moines du prieuré, tout en respectant la règle bénédictine de s’isoler du monde, la clôture, pratiquent aussi celle d’accueillir le pèlerin en l’hébergeant et le restaurant, peut-être dans une hôtellerie.
Le déclin du Prieuré
En 1271, Thibaud II de Beaumont décède sans héritier. Mathieu IV de Montmorency devient ainsi le seul homme-lige de l’évêque de Paris pour Conflans et unique seigneur laïc. Afin d’affirmer sa suprématie sur la Cité, le nouveau maître fait édifier un autre château, appelé comme il se doit, le Château Neuf, aujourd’hui disparu. Il sera, en 1393, la propriété de Guy de la Trémoille, futur chambellan et ministre du roi Charles VII. Le nombre des moines va diminuer à partir de cette époque. Le nouveau régime de la commende, établi par le concordat de Bologne, est signé en 1516 entre le pape Léon X et François Ier. L’abbé des monastères n’est donc plus élu par la communauté des moines, mais nommé par le roi de France. Il jouit ainsi des “bénéfices“ tandis que le pouvoir spirituel est exercé sur place par un prieur. Pour le prieuré de Conflans, il y a donc un “prieur commendataire “ et la communauté relève d’un “sous-prieur“. Le régime de la commende va affaiblir le prieuré financièrement, mais surtout spirituellement.
Les guerres de religion
Le conflit entre catholiques et protestants, à partir de 1562, dévaste le royaume durant 36 années. L’opposition ouverte entre les Montmorency et les Guise amenuise la puissance des premiers. Un peu plus tard, en 1630, le duc Henri II de Montmorency entreprend un agrandissement de l’église afin d’en faire une nécropole familiale. Mais, il intrigue contre le tout puissant cardinal de Richelieu qui le fait arrêter et décapiter à Toulouse, le 30 octobre 1632. Ses biens sont confisqués en 1633 au profit du prince de Condé, époux de la soeur du duc. Ainsi, restée maîtresse de Conflans pendant trois siècles et demi, la branche aînée des Montmorency disparaît avec son exécution.
L’activité fluviale
Le droit de travers nécessite l’arrêt des bateaux et la descente des marchandises sur des aires d’accostage avec des entrepôts, comme le grenier à sel. Bien évidemment, les représentants du ou des seigneurs, comme Guillaume, “receveur“ enterré dans l’église Saint-Maclou en 1542, sont là pour contrôler la cargaison et assurer la perception. En janvier 1633, le roi Louis XIII supprime tous les péages sur la Seine donc le droit de travers à Conflans. Ce système très lourd est alors remplacé par des taxes perçues sur les marchandises.
Certains grands acteurs de théâtre du XVIIe siècle vont séjourner
à Conflans.
Hardouin de Saint-Jacques, le fameux Guillot-Gorju, farceur du Pont-Neuf, se marie à l’église Saint-Maclou le 26 octobre 1636. Son beau-frère, Pierre le Messier, dit Bellerose, comédien de l’Hôtel de Bourgogne, y possède une maison et des terres. Du Croisy, créateur du Tartuffe de Molière, habitant du hameau de Chènnevières, y meurt en 1695. Entre temps, Charles de la Grange, seigneur de Neuville, village situé à proximité, achète en 1642 la baronnie de Conflans et ses droits au Prince de Condé.
La Révolution
La baronnie passe par succession à la marquise de Ménars, puis au marquis de Castellane en 1756. En 1775, le comte Florimond de Mercy-Argenteau, ambassadeur d’Autriche, acquiert la terre de Neuville et la baronnie de Conflans, ainsi que les droits féodaux attenants. Jouissant du droit de chasse, il s’adonne à ce plaisir réservé à l’aristocratie. L’orage de l’été 1788 ruinant les récoltes et la rigueur de l’hiver suivant entraînent une grande famine en 1789. Le mécontentement gronde en France. Le roi convoque les États généraux et fait établir des Cahiers de Doléances. Pour les rédiger, les Conflanais se réunissent dans l’église Sainte-Honorine du Prieuré, la plus grande salle de la paroisse, le lundi de Pâques 1789. La nuit du 4 Août, les privilèges sont abolis ; entre autre, le droit de chasse est autorisé à tous. Devant la tourmente révolutionnaire, Mercy-Argenteau quitte la France en 1790.
Du Prieuré au Château rénové
Les reliques, une nouvelle fois sauvées Le Prieuré est vendu en 1791 comme bien national, sauf son église revendiquée par la municipalité. Il est acheté par Marc-Flore Sabatier qui le garde jusqu’en 1804 ; dès son arrivée à Conflans, il fonde la Société populaire et devient un membre influent du Comité de surveillance. En 1794, les reliques de sainte Honorine sont enterrées au cimetière par de fervents catholiques, échappant ainsi à une destruction prévue. L’année suivante, l’église du Prieuré est rachetée par un conflanais, Jean Penon, qui y replace temporairement les reliques, avant de les remettre à l’abri chez un particulier. Quant à l’église, elle sera acquise en 1807 par un des propriétaires du Prieuré. Alors que Napoléon Bonaparte est Premier Consul, les reliques font leur entrée solennelle dans l’église paroissiale Saint-Maclou le 27 février1801, jour de la Sainte-Honorine. Elles sont déposées en la chapelle Saint-Nicolas qui sera agrandie en 1860 et dédiée à sainte Honorine.
Les propriétaires successifs
Après plusieurs reventes, le Prieuré devient en décembre 1808 la propriété de Frédéric l’Héritier de Chézelles qui fait abattre une grande partie de ses deux ailes vétustes, les remplace par deux pignons de style Empire encore visibles, puis la vend à son frère Samuel, le 20 juin 1816. Ce dernier, baron d’empire en 1808 et général en 1809, devient maire de Conflans de 1821 jusqu’à sa mort en 1829. C’est à lui que l’on doit la construction de l’actuelle salle Bouyssel et l’aménagement du parc en jardin à l’anglaise. En 1829, ses cinq enfants mineurs héritent de la propriété. L’aîné, émancipé, rachète la part de ses frères et soeur et lotit le Prieuré. Les terres cultivables (stade actuel) sont achetées par des cultivateurs conflanais en 1832. Vendu et amputé à nouveau, le domaine passe de 9 ha du temps de Lhéritier à 3 ha. Ces opérations immobilières auraient pu être fatales au Prieuré. Mais Marguerite Fardel, grande modiste parisienne, acquiert le château en 1838 et va le conserver 12 années, procédant à de nombreux aménagements.
Les aménagements de Mme Fardel
Marguerite Fardel entreprend d’importants aménagements car l’heure est à la villégiature et la bonne bourgeoisie équipe avec modernité les belles vieilles demeures. Des installations sont implantées afin d’amener l’eau du fleuve jusqu’à la propriété. En mai 1841, madame Fardel reçoit l’autorisation du service de la navigation de poser des tuyaux sous le chemin de halage afin de prendre l’eau de la Seine. Puis elle fait construire un manège, mû par des chevaux, pour actionner la pompe qui permettra d’alimenter le domaine. Elle va également construire une orangerie pour y entreposer l’hiver, comme il est d’usage, orangers, grenadiers, myrtes, lauriers et plantes fragiles en caisses. Ayant bien aménagé sa propriété, elle la vend en 1850 à une riche veuve, Joséphine Marchal.
Les transformations de Jules Gévelot
Joséphine Marchal était l’épouse de Joseph Marin-Batard-Gévelot, fabricant de cartouches et fondateur de la Société Française des Munitions. Son fils Jules a repris avec succès les rênes de l’entreprise paternelle. Commence alors la reconstitution du domaine du Prieuré et même son agrandissement. Mère et fils rachètent les terrains qui ont été lotis à partir de 1832. lls acquièrent aussi des maisons vétustes voisines pour les démolir et les terrains des futures terrasses Gévelot. À la mort de sa mère en 1864, Jules hérite du domaine qu’il continue à reconstituer. On est alors au coeur du second Empire. En 1873, il agrandit le château en lui adjoignant toute la partie occupée aujourd’hui par le musée de la Batellerie. Dans le parc, il fait creuser un passage sous la rue aux Moines en 1881 pour accéder au Clos de Rome et à l’île du Devant qui lui appartiennent également. Il fait édifier la serre avant 1885. Un faux rocher avec cascade et un bassin sont construits dans le parc. Entré au conseil municipal en 1860, il sera maire de 1871 à 1881, alors qu’il est déjà député de l’Orne.
L’éclectisme
Le château de Jules Gévelot devient une demeure digne de la réputation et du rang de l’industriel-fabricant de munitions. Les modifications sont l’oeuvre de l’architecte Jean Alexandre Laplanche, celui du Bon Marché à Paris. L’éclectisme est un style architectural qui mêle des éléments empruntés à différents styles ou époques de l’histoire de l’art et de l’architecture. Une verrière et une grande salle mauresque comblent le U de l’ancien bâtiment. La façade sud du château sera d’inspiration gothique et les tourelles de caractère moyenâgeux. Le corps du bâtiment va évoquer la seconde Renaissance et l’aile en retour sera de style Louis XVIII. Pour parfaire la décoration, des éléments vont être posés et collés directement sur la pierre. Une balustrade en zinc simulera un balconnet et une gargouille se penchera sur la terrasse du château. Pour marquer l’empreinte des propriétaires, Jules et son épouse, Emma Boulard, mariés en 1865, sont immortalisés par deux médaillons en bas-relief sculptés sur la façade de l’aile nouvelle, du côté parc.
Le rachat par la Ville
À la mort de Jules Gévelot en 1904, la ville de Conflans donne son nom à la place devant le château ; Emma, nommée à la tête de l’entreprise, va vivre entre Paris et Conflans ; elle meurt en 1927, sans descendance. Son légataire universel, Albert Antoine Gillot, un cousin, met la propriété en vente. Le conseil municipal du 16 mai 1929 vote l’acquisition du château du Prieuré et de son parc. « Considérant que cette propriété, sise sur l’un des emplacements les mieux situés du territoire, près du centre de la ville, offre à la commune l’occasion de réaliser cet objectif légitime d’embellissement et de développement des agréments urbains indispensables au progrès et à l’avenir du pays. [Considérant] que cette propriété superbe, un des charmes de Conflans par ses souvenirs historiques et par sa beauté doit être conservée et soustraite aux risques possibles de destruction progressive si elle était acquise par des particuliers […] Vote l’acquisition de la propriété sus-indiquée pour un montant de 1 500 000 francs ». Conflans en devient définitivement propriétaire le 3 mars 1931. L’année suivante, un escalier monumental est édifié afin d’ouvrir le site sur la ville pour le plus grand bonheur des conflanais, petits et grands. En 1966, le musée de la Batellerie s’installe dans une aile du château.
Sources CATLA